14 novembre 2024

Potentiel énergétique  : le Cameroun n’est ni le 1er en Afrique, ni le 18e au monde

Par Lorine Claudia AGNANG

Cet article est un extrait du texte initialement publié sur le site du média membre du réseau.

Au cours de l’émission «Equinoxe Soir » diffusée sur  Equinoxe Tv le 16 août 2024, Michèle Dikoume, une militante du RDPC a affirmé que selon un rapport de la Banque mondiale, le Cameroun est 1er en Afrique et 18e au monde en matière de potentiel énergétique . Après vérification sur le site de la Banque mondiale, auprès des électrotechniciens et des ingénieurs en énergie renouvelable, cette déclaration est fausse. Le Cameroun est le 2e en Afrique et le 18e  au monde en matière de potentiel hydroélectrique, d’après la Banque africaine de développement.

Le 16 août 2024, Michèle Dikoume, militante du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) a déclaré à l’émission Équinoxe soir: «(…) Parce qu’on a aussi un rapport de la Banque mondiale qui fait état de ce qu’en termes de potentiel, le Cameroun est 1er en Afrique et 18e dans le monde. Potentiel énergétique».

Équinoxe soir, est une émission quotidienne de décryptage de l’actualité diffusée de lundi à vendredi, entre 19h- 21h sur Équinoxe Télévision, une chaîne à capitaux privés au Cameroun.

Au 1er octobre 2024, l’émission du 16 août a enregistré plus de 8 000 vues sur la page YouTube de la chaîne.

Cette thématique est abordée six jours après que Natchigal Hydropwer Company, société anonyme camerounaise créée le 7 juillet 2016 qui a pour mission la conception, le financement, et la construction de l’aménagement hydroélectrique du barrage Nachtigal a annoncé l’injection de 60 nouveaux mégawatts dans le Réseau interconnecté Sud, après les premiers 60 mégawatts injectés le 10 mai de l’année en cours.

Vérification

Jointe par appel téléphonique, Michèle Dikoume dit avoir fait fausse route lors de son passage sur «Equinoxe soir». « Je me suis trompée. C’est plutôt un rapport de la Banque africaine de développement. Et le Cameroun est plutôt 2e en Afrique et 18e dans le monde (Sic)», avoue-t-elle. Malgré cette confidence, Michèle n’a fait aucune sortie rectifiant sa déclaration. Aucun post sur la page facebook d’Équinoxe Tv, encore moins sur ses comptes Facebook et Twitter. Par ailleurs, la promesse faite à DataCheck de revenir avec d’amples informations n’a pas été tenue, jusqu’au moment de la publication de cet article.

Rendu sur le site de la Banque africaine de développement (BAD), le clic sur le thème «Energie » de la rubrique secteur, ne renvoie à aucune information allant dans le même sens de la déclaration de vérification, encore moins la version corrigée . A la place, nous avons trouvé une publication qui date du 14 octobre 2019, intitulée : « Cameroun : trois centrales électriques financées par la Banque africaine de développement pour réduire les délestages ». Il y est indiqué que « Avec une puissance hydroélectrique potentielle estimée à 23 000 MW, le Cameroun est le deuxième pays du continent africain en termes de potentiel hydroélectrique et le 18ème à l’échelle mondiale. Dans la perspective de son émergence à l’horizon 2035, le pays compte développer son industrie. La construction de la centrale hydroélectrique de Nachtigal a débuté en 2019 et devrait s’achever dans environ cinq ans, avec une capacité de production estimée à 420 MW ».

La Direction générale du trésor de la République Française  relevait déjà dans un article publié le 23 août 2019 que « le Cameroun bénéficie d’un potentiel énergétique important, notamment grâce à sa capacité hydroélectrique. Selon la Banque mondiale, le pays se place au deuxième rang sur le continent africain en termes de puissance potentielle estimée (23 000 MW), derrière la République démocratique du Congo.»

Une autre recherche par mots clés  nous a renvoyé vers une publication de la Banque mondiale intitulée: « Potentiel transformateur de l’industrie minière : une opportunité pour l’électrification de l’Afrique subsaharienne ». Ce document de 191 pages comporte un tableau nommé «les ressources énergétiques en Afrique subsaharienne», qui relève que le Cameroun est classé 5e pays en Afrique subsaharienne en matière de potentiel hydroélectrique, après la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, Madagascar et l’Angola.

Tableau extrait du rapport de la Banque mondiale sur le potentiel énergétique en Afrique

C’est quoi le potentiel énergétique?

Boris Mouafo est ingénieur en énergies renouvelables. Joint par DataCheck dans le but d’avoir plus d’informations sur ce qu’on entend par potentiel énergétique, Boris fait savoir qu’il renvoie à « l’ensemble de sources d’énergie disponibles localement et pouvant être exploitées afin de satisfaire les besoins énergétiques de la population ». A cette même question, Guy Hervé Afanembeung, ingénieur en électrotechnique fait savoir que « le potentiel énergétique d’un pays fait référence à la quantité totale d’énergie que ce pays pourrait théoriquement produire en utilisant toutes ses ressources naturelles disponibles dont les énergies renouvelables comme l’hydroélectricité, l’énergie solaire, l’éolienne, le géothermique, ainsi que les énergies non renouvelables comme les combustibles fossiles. » il se mesure, selon Judicael Yongo électrotechnicien, à partir des ressources naturelles d’un pays. Notamment l’eau, le gaz, le soleil et l’uranium.« La mesure du potentiel énergétique est  a partir de ces ressources naturelles (eau…gaz .soleil. ..uranium ..) et  de sa puissance débitée en mégawatt », fait-il savoir.

La différence entre un potentiel énergétique et un potentiel hydroélectrique,  selon Hervé Afanembeung est que « le potentiel énergétique englobe toutes les sources d’énergie disponibles dans un pays, qu’elles soient renouvelables (comme le solaire, l’éolien, la biomasse, etc.) ou non renouvelables (comme le pétrole, le charbon, le gaz naturel). » Le potentiel hydroélectrique, en revanche, est un sous-ensemble du potentiel énergétique et « se réfère spécifiquement à l’énergie pouvant être générée à partir des ressources en eau, telles que les fleuves et les barrages . Il se mesure souvent en termes de mégawatts (MW) ou de gigawatts (GW) disponibles à partir de l’énergie hydraulique». Et quantifier un potentiel hydroélectrique,  à en croire Boris Mouafo,  revient à « évaluer le volume d’eau contenu dans les fleuves et leurs affluents ». Or, les indicateurs du potentiel énergétique d’un pays sont « les réserves prouvées de ressources énergétiques ; la capacité de production énergétique ; le taux de croissance de la consommation énergétique ; la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique ; l’intensité énergétique (consommation énergétique par unité de PIB) », explique Sidoine Djedjieu Talla.

A la question de savoir si le Cameroun est 1er en Afrique et 18e au monde en matière de potentiel énergétique, Boris Mouafo souligne d’entrée de jeu que le classement des potentiels énergétiques réalisés par les institutions et autres se fait par ressource et non d’une façon globale.  « Etant donné que le potentiel énergétique est propre à chaque ressource, il est évalué par ressource. Le fort potentiel hydroélectrique du Cameroun le classe en deuxième sur le continent et 18e au rang mondial, d’après une étude portant sur les politiques de mise en oeuvre des bioénergies au Cameroun, menée en 2014 », tandis que d’après Thierry Ngouo Talla, ingénieur polytechnicien en énergie renouvelable, le classement peut varier en fonction des critères pris en compte, à l’instar des capacités installées qui renvoie au niveau de rendement maximal d’une ressource, des ressources exploitables, etc. Néanmoins, relève-t-il, « le Cameroun a un potentiel en énergie renouvelable diversifié et prometteur de développement . Le potentiel hydroélectrique du Cameroun est estimé à 23 000 MW, qui est le 3e potentiel énergétique en Afrique au Sud du Sahara après la République démocratique du Congo et l’Éthiopie. Ce classement est basé sur des rapports d’organisations internationales comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Banque mondiale, ou encore des études sur les énergies renouvelables en Afrique». malheureusement, déplore-t-il, ce potentiel hydroélectrique n’est exploité qu’à 3%. Il ajoute: «La biomasse forestière représente une importante source d’énergie renouvelable au Cameroun qui possède le 2e potentiel forestier dans le bassin du Congo (et en Afrique) avec 22 millions d’hectares de forêts, dont la plus grande partie se trouve dans le sud du pays».

Capacité installée du potentiel hydroélectrique  des pays africains  d’après  l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, 2021

Il ajoute que le Cameroun dispose également de ressources en pétrole et en gaz naturel, ainsi que d’un potentiel pour les énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien. Cependant, d’autres pays africains, comme l’Éthiopie avec son grand barrage de la Renaissance, ou encore l’Afrique du Sud avec ses infrastructures énergétiques diversifiées, revendiquent également un potentiel énergétique important. Et pour Sidoine Djedjieu Talla, « Le Cameroun reste derrière la République démocratique du Congo en termes de potentiel énergétique. Si nous prenons par exemple l’électricité qui  est le domaine dans lequel j’excelle, le potentiel énergétique de la Rdc est largement supérieur à celui du Cameroun, qui a une capacité installée de 2700 Mégawatts, d’après l’Association internationale d’hydroélectricité. En plus, d’après le rapport 2022 de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, occupe la 3e place dans l’approvisionnement total en énergie primaire derrière la Rdc et l’Angola. Si déjà il occupe un tel rang en Afrique centrale, comment aurait-il la première place dans la l’Afrique tout entière ?»

D’après le document intitulé Politique nationale de l’eau du Cameroun publié par le ministère de l’Eau et de l’Energie le 30 novembre 2019, le Cameroun regorge un potentiel hydroélectrique important,car il est traversé par cinq bassins hydrographiques .« Du point de vue hydrologique (cf. figure 1), le territoire du Cameroun est à cheval sur cinq bassins hydrographiques que sont: (i) le bassin du Lac Tchad; (ii) le bassin du Niger; (iii) le bassin de la Sanaga; (iv) le bassin des fleuves côtiers; et (v) le bassin du Congo » , tandis que  le site tel www.cameroun-plus.com fait savoir que le Cameroun regorge quatre bassins hydrauliques que sont: le bassin de l’Atlantique avec le Wouri, le Nkam, le Noun, la Sanaga situé à Edéa (le plus long (920 km) et le plus abondant du Cameroun); Le bassin du Congo qui englobe le Bok, le Lobo, le Sangha, le Dja; le bassin du Niger qui regroupe le Mayo kebi, la Benoué, le faro et le bassin du Tchad constitué des fleuves Logone, la Vina, le Chari.

Le sous-développement de son infrastructure est à l’origine besoin incessant en électricité que connaît le pays. D’ailleurs la 5e enquête camerounaise auprès des ménages de l’Institut national de la statistique réalisée en 2021 et 2022  et publiée au mois d’avril 2024 indique que «bien que la proportion de la population ayant accès à l’électricité ait légèrement augmenté pour se situer à 60,2% contre 58,4% en 2014, des disparités significatives persistent entre la zone urbaine avec un taux d’accès de 87,6% et la zone rurale avec 28,4%»; .

En conclusion, l’information selon laquelle d’après le Cameroun est 1er en Afrique et 18e au monde, en matière de potentiel énergétique n’est pas correcte. Car les ingénieurs en énergie renouvelable, les électrotechniciens s’accordent à dire que la mesure du potentiel énergétique d’un pays se fait par ressource et non d’une façon globale. En plus, le fort potentiel hydroélectrique du Cameroun le place 2e en Afrique et 18e au monde, malheureusement, il reste sous-exploité.

Lorine Claudia AGNANG

Cet article a été rédigé dans le cadre de la 1ère cohorte des Académies de Fact-checking, initiée par ADISI-Cameroun avec l’appui technique de DataCheck et le soutien financer de l’Ambassade de France.

Cet article a été initialement publié sur Data-Check Le lecteur est invité à se rendre sur le site de l'article initial pour le lire dans son intégralité.

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