Chaque année, le 19 juin, le monde célèbre la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose, « la maladie génétique monogénique (liée à un seul gène) la plus répandue dans le monde », selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Cette pathologie héréditaire est aussi sujette à la mésinformation et à la désinformation, notamment en Afrique où vivent 66 % des 120 millions de personnes atteintes de drépanocytose dans le monde d’après des chiffres annoncés par l’OMS en juin 2024.
Pour cette fiche d’informations, nous avons consulté la professeure Indou Dème Ly, coordonnatrice de l’Unité de soins ambulatoires pour enfants et adolescents drépanocytaires (USAD) au Sénégal, le professeur Ibrahima Diagne, coordonnateur du Centre de recherche et de prise en charge ambulatoire de la drépanocytose (CERPAD) à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) et le Dr Cheick Bady Diallo, responsable du plaidoyer, de la communication et de l’information pour l’éducation au bureau régional de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Afrique.
Pour en savoir plus sur la drépanocytose, vous pouvez lire cette fiche d’informations d’Africa Check publiée en 2018.

1. « Seules les personnes de race noire peuvent être atteintes de drépanocytose ».
- Faux : la drépanocytose peut toucher des personnes de différentes origines ethniques, bien qu’elle soit plus fréquente chez les personnes d’ascendance africaine.
« Il y a des gens qui pensent que seules les personnes dites de « race noire » sont concernées par la drépanocytose. C’est une information erronée », a indiqué la professeure Indou Dème Ly, coordonnatrice de l’Unité de soins ambulatoires pour enfants et adolescents drépanocytaires (USAD) au Sénégal. La pédiatre a expliqué qu’il existe, dans le monde, d’autres personnes dites de race caucasienne et asiatique qui sont porteuses de la drépanocytose. Cette assertion a également été soutenue par les autres experts consultés par Africa Check.
« La drépanocytose peut toucher des personnes de différentes origines ethniques, bien qu’elle soit plus fréquente chez les personnes d’ascendance africaine », selon Dr Cheick Bady Diallo, responsable du plaidoyer, de la communication et de l’information pour l’éducation au bureau régional de l’OMS pour l’Afrique. Il a expliqué que « même si près de deux tiers des cas de drépanocytose se trouvent en Afrique subsaharienne, la maladie est également assez fréquente dans certaines régions de l’Inde, de la péninsule arabique et parmi les populations d’origine africaine dispersées à travers le monde ».
Pr Ibrahima Diagne, pédiatre et coordonnateur du Centre de recherche et de prise en charge ambulatoire de la drépanocytose (CERPAD) à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis dans le nord du Sénégal, a signalé à Africa Check que la fréquence de cette maladie en Afrique subsaharienne est « liée à la pression de sélection des sujets porteurs du trait drépanocytaire (AS) due au paludisme ».
2. « Tous les individus d’ascendance africaine ont la drépanocytose ».
- Faux : pour que la personne soit malade, il faudrait qu’elle hérite du gène malade des deux parents, qu’ils soient d’origine africaine ou non.
Une autre idée reçue sur la drépanocytose est liée à sa supposée « africanité ». La pédiatre Indou Dème Ly a relevé que cette maladie « n’a pas de rapport avec l’origine géographique », car, d’après la spécialiste, « c’est une question de portage d’un gène ». « N’importe qui peut porter le gène. Lorsqu’une personne porte le gène, elle le transmet à sa descendance. Pour que la personne soit malade, il faudrait qu’elle hérite du gène malade des deux parents, qu’ils soient d’origine africaine ou non », a expliqué la coordonnatrice de l’USAD.
Dr Cheick Bady Diallo a confirmé cet exposé. Le responsable du plaidoyer, de la communication et de l’information pour l’éducation au bureau régional de l’OMS pour l’Afrique a notamment indiqué que « l‘allèle S, responsable de l’anomalie, est surtout répandu sur le continent africain, atteignant, dans certaines populations, une fréquence de 30 %. On le trouve également en Inde, en Arabie saoudite, en Italie, surtout en Sicile, en Grèce et en Anatolie ». De plus, il a expliqué que « les déportations liées au commerce triangulaire et les migrations ont accru la fréquence de cette maladie sur le continent américain ».
Selon la Haute autorité française de Santé, la drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente en France, parmi les maladies dépistées à la naissance. « 557 cas ont été dépistés en 2020 contre 412 en 2010 », d’après cette institution.
En outre, selon le Centers for Disease Control and Prevention (CDC), l’agence fédérale américaine de santé publique, la drépanocytose touche environ 100 000 personnes aux États-Unis : « plus de 90 % sont noirs ou afro-américains non hispaniques, et on estime que 3 à 9 % sont hispaniques ou latino-américains »
3. « Les personnes atteintes de drépanocytose ne peuvent pas pratiquer d’activités physiques ».
- À nuancer, car, il est recommandé aux personnes porteuses de la forme maladie SS et SC de mener une activité physique adaptée à leur état de santé.
Les spécialistes ont été formels sur ce point. « Les personnes atteintes de drépanocytose peuvent pratiquer des activités physiques », a notamment affirmé Dr Cheick Bady Diallo de l’OMS. « (Ces personnes) doivent faire attention à ne pas se déshydrater et éviter les efforts excessifs qui peuvent déclencher une crise », a-t-il ajouté.
En plus de ces précisions, Pr Indou Dème Ly a souligné qu’on distingue deux formes de drépanocytose : « la forme maladie que nous appelons syndromes drépanocytaires majeurs (SDM) et la forme hétérozygote qui est le portage d’un seul gène. Les personnes qui portent un seul gène sont hétérozygotes et n’affiche aucune différence par rapport aux personnes non porteuses de la drépanocytose, elles peuvent donc exercer des activités physiques et sportives ».
« Par contre, les personnes qui présentent les formes majeures, c’est-à-dire celles qui nécessitent un suivi, doivent éviter les activités physiques intenses car elles peuvent déclencher la douleur, qui est la manifestation la plus fréquente de la maladie », a-t-elle prévenu.
« Il est recommandé aux personnes porteuses de la forme maladie SS et SC de mener une activité physique adaptée à leur état de santé », a ajouté Pr Ibrahima Diagne de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.

4. « Les personnes atteintes de drépanocytose ne peuvent pas mener une vie normale ».
- À nuancer, car la capacité à mener une vie normale dépend de la qualité de suivi des personnes porteuses des syndromes majeurs.
L’autre préjugé sur la maladie serait la la difficulté, pour les personnes souffrant de drépanocytose, d’avoir une vie dite « normale ». Les spécialistes dénoncent cette fausse idée. Dr Diallo de l’OMS confirme qu’avec un suivi médical approprié et des soins réguliers, « les personnes atteintes de drépanocytose peuvent mener une vie normale et active ».
« De nombreux patients drépanocytaires sont des étudiants dans nos universités et les patients que nous avons suivis dans l’enfance sont devenus de hauts cadres (médecins, pharmaciens, ingénieurs) et ont fondé une famille », a témoigne Pr Ibrahima Diagne.
Pr Indou Dème Ly a, quant à elle, relevé que la capacité à mener une vie normale dépend de la qualité de suivi des personnes porteuses des syndromes majeurs. « Si la personne a un bon suivi, observe les prescriptions médicales, applique les consignes et évite ce qui lui est interdit, elle va mener une vie normale, en dehors des épisodes de crise douloureuse, d’anémie ou d’infections », a-t-elle précisé. Par contre, a-t-elle rappelé, « la personne qui a le trait ou la forme hétérozygote n’a aucun problème de qualité de vie. Elle est comparable aux personnes qui ne sont pas du tout drépanocytaires. C’est une erreur de dire que les personnes porteuses de la drépanocytose ne peuvent pas mener une vie normale ».
5. « Les traitements non médicaux ou des remèdes traditionnels peuvent guérir la drépanocytose ».
- Attention : la drépanocytose est une maladie génétique et aucun traitement non médical ne peut modifier la génétique de la personne et ne peut donc la guérir.
« Certaines informations circulent également, affirmant qu’il est possible de guérir de la drépanocytose par des thérapies traditionnelles. Ce sont des informations erronées », a signalé la pédiatre Indou Dème Ly.
« La drépanocytose nécessite des traitements médicaux pour gérer les symptômes et prévenir les complications », a insisté Dr Cheick Bady Diallo du bureau régional de l’OMS pour l’Afrique.
De son côté, Pr Ibrahima Diagne a indiqué que même si « des traitements traditionnels par certaines plantes pourraient atténuer les symptômes, ils ne guérissent pas la maladie et ne peuvent permettre de traiter les complications ». Car, « la drépanocytose est une maladie génétique et aucun traitement non médical ne peut modifier la génétique de la personne, donc ne peut la guérir », a-t-il rappelé.
« C’est une maladie avec laquelle la personne naît et vit. C’est comme quelque chose qui est inscrit dans le patrimoine de la personne. Donc, pour que la personne guérisse définitivement de cette maladie, il faudrait que l’information génétique qui est contenue dans les chromosomes soit définitivement traitée. Actuellement, il n’y a que deux traitements conventionnels : la thérapie génique et la greffe de cellules souches hématopoïétiques », a ajouté Pr Indou Dème Ly.

Transmission de la drépanocytose WIKIMEDIA / CC
6. « La drépanocytose est causée par une mauvaise hygiène de vie ».
- Faux : une mauvaise hygiène de vie peut favoriser des complications infectieuses chez le drépanocytaire, comme chez tous les individus.
Une croyance populaire laisserait également croire que la drépanocytose est causée par une mauvaise hygiène de vie. Les experts consultés ont réfuté cette hypothèse. « Il est erroné de dire qu’une personne avec une mauvaise hygiène de vie peut attraper la drépanocytose, a attesté Pr Ly. Car, a-t-elle indiqué, « l’environnement n’a rien à voir avec cette maladie génétique ».
« La drépanocytose n’a rien à voir avec l’hygiène personnelle. C’est une maladie héréditaire due à une mutation de l’hémoglobine, la cellule qui transporte l’oxygène dans le sang », a renchéri Dr Cheick Bady Diallo. Toutefois, « le manque d’hygiène peut favoriser des complications infectieuses chez le drépanocytaire, comme chez tous les individus », d’après Pr Ibrahima Diagne.
7. « Les personnes atteintes de la drépanocytose sont immunisées contre le paludisme ».
- À nuancer, car même si les personnes porteuses des traits drépanocytaires sont relativement protégées contre les formes graves du paludisme, elles n’en sont pas immunisées.
Africa Check a également questionné les trois experts sur une autre rumeur fréquente sur la maladie. Celle indiquant que les personnes porteuses de drépanocytose sont immunisées contre le paludisme. « Les porteurs du trait drépanocytaire (AS) font moins de formes graves du paludisme que les personnes non drépanocytaires, mais il ne sont pas immunisés et peuvent avoir le paludisme », a répondu Pr Diagne.
Dr Diallo de l’OMS a expliqué que « la drépanocytose offre un avantage hétérozygote contre les formes graves de paludisme dues au plasmodium falciparum » ce qui fait que « les hétérozygotes SA bénéficient d’une protection partielle ». Cette protection est due, selon lui, à « l’interruption du développement du parasite à l’intérieur des globules rouges en raison de la fragilité de ces cellules ». En revanche, a ajouté Dr Diallo, les homozygotes drépanocytaires SS sont plus vulnérables au paludisme que les personnes saines (homozygotes AA).
Sur le même sujet, Pr Ly de l’USAD a souligné que « les personnes porteuses des traits drépanocytaires sont relativement protégées contre les formes graves du paludisme ». Par contre, a-t-elle poursuivi, « les personnes porteuses de syndrome drépanocytaire majeur, lorsqu’elles contractent le paludisme, peuvent présenter une forme grave, car le paludisme entraîne un risque d’anémie, tout comme la drépanocytose ».
« Deux anémies chez une même personne peuvent avoir un pronostic défavorable. Il faut donc éviter tout ce qui peut provoquer le paludisme chez les personnes porteuses des formes majeures », a-t-elle conseillé.
8. « La drépanocytose est une maladie transmissible par le sang comme le VIH et l’hépatite B ».
- Faux : la drépanocytose est une maladie génétique et ne peut pas être transmise par le sang comme le VIH ou l’hépatite B.
Une autre fausse idée est aussi répandue sur un supposé mode de transmission de la maladie par voie sanguine, comme le VIH ou l’hépatite B. Mais la science est aussi catégorique sur cette question. « La drépanocytose est une maladie génétique et ne peut pas être transmise par le sang comme le VIH ou l’hépatite B », a affirmé Dr Cheick Bady Diallo du bureau régional de l’OMS pour l’Afrique.
« La personne ne peut être drépanocytaire qu’à partir d’un héritage de ses deux parents », a encore rappelé Pr Indou Dème Ly de l’USAD. « C’est l’hémoglobine qui donne la couleur rouge au sang. Et dans la drépanocytose, l’anomalie est une anomalie de l’hémoglobine. Donc, lorsque l’hémoglobine est malade, elle se modifie. Et puisque l’hémoglobine est contenue dans le sang, nous définissons la maladie comme une maladie du sang. C’est pourquoi parfois les gens font la confusion entre une maladie du sang et une maladie transmise par le sang. C’est différent », a argumenté la pédiatre.
9. « Dans un couple, la drépanocytose est transmise par un seul des conjoints »
- Précision utile : une personne qui a une forme de drépanocytose majeure a hérité le gène de ses deux parents. Par contre, une personne qui a la maladie à l’état hétérozygote a hérité le gène d’un seul de ses parents et n’est pas considérée comme malade.
Pr Indou Dème Ly a également relevé qu’au cours de ses consultations, elle a souvent été confrontée à une fausse idée récurrente : à savoir que la maladie peut être transmise par un seul des conjoints dans un couple. Une fausse information qui a pu briser des couples et porter des préjugés sur des personnes. « Une personne qui a une forme de drépanocytose majeure a hérité le gène de ses deux parents. Par contre, une personne qui a la maladie à l’état hétérozygote a hérité le gène d’un seul de ses parents et n’est pas considérée comme malade. À l’hôpital, nous nous occupons des personnes qui ont hérité des deux gènes et qui sont donc malades », a expliqué la coordonnatrice de l’Unité de soins ambulatoires pour enfants et adolescents drépanocytaires de l’hôpital Fann à Dakar.
Pr Ibrahima Diagne, coordonnateur du Centre de recherche et de prise en charge ambulatoire de la drépanocytose à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, a ajouté que « pour présenter une drépanocytose (SS, SC, etc..), il faut que chacun des deux parents transmette l’anomalie (S ou C) à l’enfant. Si un seul parent le transmet, l’enfant est AS, le A (normal) serait transmis par l’autre parent ».
Selon Dr Cheick Bady Diallo du bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, « la probabilité d’avoir un enfant atteint est de 100 % si les deux parents sont eux-mêmes atteints, de 50 % si l’un des deux parents est drépanocytaire et l’autre porteur du trait drépanocytaire, de 25 % si les deux parents sont porteurs du trait drépanocytaire, et nulle si l’un des parents est sain ».
10. « La drépanocytose est liée au groupe sanguin »
- Faux : une personne drépanocytaire peut avoir n’importe quel groupe sanguin.
« Il n’y a aucun lien entre les groupes sanguins et la drépanocytose », a martelé Pr Diagne.
Bien que « des gens font souvent la confusion, une personne drépanocytaire peut avoir tout groupe sanguin. Ce n’est pas parce qu’on est drépanocytaire qu’on a un groupe sanguin spécifique », a étayé Pr Ly, appuyée par Dr Diallo qui a rappelé que « la drépanocytose n’est pas liée au groupe sanguin mais à une mutation génétique spécifique dans le gène de la bêta-globine ».
11. « Les enfants souffrant de drépanocytose ne peuvent pas faire d’études poussées, de longues études ».
- Une information erronée
« C’est une information erronée », a réagi Pr Ly à cet autre préjugé sur les malades de la drépanocytose. La coordonnatrice de l’USAD a confié à Africa Check qu’en tant que pédiatre, elle a rencontré « beaucoup d’enfants drépanocytaires qui deviennent médecins, pharmaciens, ingénieurs et qui réussissent très bien à l’école ».
« Les parents doivent accompagner et encourager leurs enfants, et les mettre dans de bonnes conditions pour qu’ils puissent être performants à l’école. Il n’y a aucun rapport entre la drépanocytose et la capacité à faire des études poussées. Avec de la concentration, de l’intelligence et un bon suivi, les enfants drépanocytaires peuvent réussir », a-t-elle soutenu.
En effet, d’après l’OMS, avec un suivi médical approprié, les enfants atteints de drépanocytose peuvent poursuivre des études poussées et atteindre des niveaux académiques élevés. Ils doivent simplement apprendre à connaître et vivre avec leur maladie, et avoir accès aux services de santé appropriés.
12. « La maladie est liée à la sorcellerie »
- Faux : c’est une idée reçue qui retarde le diagnostic et le suivi médical et altère leur qualité tout en entraînant une frustration et un rejet.
Cette fausse idée répandue sur cette maladie en Afrique a aussi été dénoncée par les experts consultés par Africa Check.
« En Afrique, nos croyances traditionnelles font parfois que les enfants souffrant de drépanocytose sont assimilés à des enfants victimes de sorcellerie, ce qui retarde le diagnostic, le suivi médical et altère leur qualité tout en entraînant une frustration et un rejet », a déploré Pr Ly, soulignant qu’« il est important d’orienter ces enfants dans le circuit de santé pour un bon suivi ».
L’Organisation mondiale de la Santé rappelle que « la drépanocytose est une maladie bien connue et étudiée par la science et n’a aucun rapport avec la sorcellerie », Dr Cheick Bady Diallo, responsable du plaidoyer, de la communication et de l’information pour l’éducation au bureau régional de l’Organisation mondiale de la Santé.
Relu et édité par Valdez Onanina.