28 septembre 2024

FICHE D’INFO – Cartographie des textes et lois en faveur de l’accès à l’information publique en Afrique

Par Birame Faye

Lors de sa Conférence générale tenue à Paris, du 3 au 15 novembre 2015, l’Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (Unesco) a adopté une résolution déclarant le 28 septembre de chaque année comme étant la « Journée internationale de l’accès universel à l’information ». Une date et une célébration qui ont été confirmées en 2019, lors de la 74e Assemblée générale des Nations Unies.

« Cette journée ATI (pour Access to information, en anglais) » vise à rappeler, aux États, la nécessité d’instaurer des mécanismes juridiques et institutionnels qui facilitent l’accès du citoyen à l’information détenue par les organismes publics. 

Les États membres de l’Unesco, les pays en développement en particulier, malgré l’intégration du droit à l’information dans leurs constitutions respectives et certaines lois sectorielles, accusent un retard dans l’ouverture de leurs administrations publiques aux citoyens qu’ils sont censés servir. 

Le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui s’est tenu en deux phases, à Genève en 2003 et à Tunis en 2005, a inscrit « l’accès à l’information et au savoir » parmi ses onze Lignes d’action. L’accès à l’information et au savoir trouve un fondement légal dans des mécanismes internationaux qui traitent des droits de l’Homme.

Les fondements juridiques internationaux relatifs à l’accès à l’information

Il convient de préciser que la loi ATI est destinée à tous les citoyens. Toutefois, dans certains pays, comme la Côte d’Ivoire et le Niger, des acteurs, dont des chercheurs et des journalistes, bénéficient d’un privilège dans des délais de réponses fixés par l’administration.

Sur les plans régional et international, les mécanismes juridiques qui prônent l’accès du citoyen à l’information sont nombreux, et ce depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Ce contenu de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1947), textuellement repris dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), devait suffire pour matérialiser le droit d’accès à l’information. 

L’accès à l’information figure également dans les Objectifs de développement durable (ODD) définis en 2015 par les Nations Unies. Il est précisément pris en compte dans l’ODD 16 dont une des visées est de pousser les États à « garantir l’accès public à l’information et protéger les libertés fondamentales conformément à la législation nationale et aux accords internationaux ». Cela doit être matérialisé à « travers l’adoption d’une loi spécifique », est-il recommandé dans cet ODD 16. 

Qu’en est-il en Afrique ?

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1979) dispose : « Toute personne a droit à l’information ». De même, la Convention africaine sur la prévention et de lutte contre la corruption consacre également son article 9 à l’accès à l’information : « Chaque État partie adopte les mesures législatives et autre mesures pour donner effet au droit d’accès à toute information qui est requise pour aider à la lutte contre la corruption et infractions assimilées », est-il écrit.

Au niveau ouest-africain, l’accès à l’information figure en bonne place dans le Protocole de la CEDEAO sur la lutte contre la corruption adopté par la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement, le 21 décembre 2001. Parmi les mesures à prendre par les États, énumérées à l’article 5, il y a « les lois et autres mesures estimées nécessaires pour assurer une protection effective et adéquate des personnes qui, agissant de bonne foi, fournissent des informations sur des actes de corruption ».

En 2009, la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a adopté la « Directive n°01/2009/CM/UEMOA portant code de transparence dans la gestion des finances publiques ». Ce mécanisme oblige les huit États membres de l’UEMOA, à informer régulièrement le citoyen sur leurs budgets respectifs.

L’ATI en bref

L’accès à l’information ou « Access to information » (ATI) est caractérisée dans les lois adoptées par plusieurs pays, notamment les pays africains. Qu’elle s’appelle « loi relative à l’accès à l’information d’intérêt public » comme en Côte d’Ivoire, « Freedom of information Act » en Afrique du Sud, ou encore « Charte d’accès à l’information publique et aux documents administratifs » au Niger, elle est guidée par trois principes : l’accessibilité, la gratuité, et le droit à la réutilisation des données. 

Au Burkina Faso, l’article 4 de la loi burkinabé sur l’accès l’information (2015) définit l’information publique comme étant « tout original ou copie d’un document tels que les renseignements, les correspondances, les faits, les opinions, les avis, les mémorandums, les données, les statistiques, les livres, les dessins, les diagrammes, les photographies et les enregistrements quels que soient la forme et le support, qu’il soit en possession ou sous le contrôle du détenteur de l’information à qui la demande a été adressée ».  

Au Niger, « par information publique, il faut entendre toutes données ou toutes connaissances produites ou reçues, dans le cadre de leurs missions, par les services publics, acquises par l’étude ou l’expérience, sous la forme d’écrits, de graphiques ou présentées sur des supports audio, vidéo et audiovisuels ». 

Sous ce rapport, une loi sur l’accès à l’ information est un mécanisme légal national qui consolide le droit du citoyen à demander des informations détenues par les institutions publiques en contraignant ces dernières à répondre aux  sollicitations  dans un délai défini, sous peine de sanctions.

Le plaidoyer international en faveur de l’ATI

L’ATI n’est pas la prérogative des seuls États. Si certains gouvernements ont été amenés à légiférer, cela est en partie dû au plaidoyer faits, sous diverses formes, par des organisations de la société civile et celles internationales.

En 2007 aux États-Unis, le mouvement Open data a contribué à ouvrir davantage l’accès aux données publiques. En effet, des activistes américains se sont donnés rendez-vous à Sébastopol, en Californie, pour définir le concept de « données publiques ouvertes » et le faire adopter par les candidats à l’élection présidentielle américaine qui a vu l’arrivée au pouvoir de Barack Obama. Cette initiative américaine a connu des évolutions positives avec la création, en 2009, du portail data.gov – le site de données ouvertes du gouvernement des États-Unis. Cette base de données publiques a été « conçue pour libérer la puissance des données ouvertes du gouvernement afin d’éclairer les décisions du public et des décideurs politiques, de stimuler l’innovation et l’activité économique, de réaliser les missions des agences et de renforcer les fondements d’un gouvernement ouvert et transparent ».

L’administration Obama a aussi favorisé la création de l’Open Government Partnership ou Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), une plateforme multilatérale qui pousse les gouvernements à devenir plus ouverts et transparents. Le PGO encourage la concertation et la collaboration avec la société civile pour plus de transparence de l’action publique, en utilisant les nouvelles technologies. 

Le PGO a été lancé le 20 septembre 2011, lors d’une réunion entre huit pays (Afrique du Sud, Brésil, Indonésie, Mexique, Norvège, Philippines, Royaume-Uni et États-Unis) et neuf leaders de la société civile. Elle matérialise, en dehors des États-Unis, l’Open government initiative lancée par Barack Obama, en 2009. Au 28 septembre 2024, le PGO a été adopté par au moins 75 pays dans le monde.

En outre, quelques années avant ces initiatives américaines précitées, la création en 2002 à Londres de la coalition Publish What You Pay (Publiez ce que vous payez, PCQVP) est un tournant décisif dans le plaidoyer pour l’accès à l’information. Il s’agit d’une coalition internationale de plus de 800 organisations de la société civile qui réclament la transparence et la responsabilité dans le secteur extractif en réponse à des cas de corruption et de mauvaise gestion. PCQVP cherche à « faciliter un environnement dans lequel les revenus du pétrole, du gaz et de l’exploitation minière sont utilisés pour améliorer la vie des femmes, des hommes et des jeunes dans les pays riches en ressources ».

Dans la foulée de la création de PCQVP, en juin 2003, Tony Blair, l’ancien Premier Ministre britannique (1997 – 2007), a impulsé l’Initiative pour la Transparence dans les industries extractives (ITIE). Elle fut lancée à Londres en présence de 140 délégués de gouvernements, d’entreprises multinationales et d’organisations de la société civile. 

L’ITIE est une norme qui exige la publication des revenus des bénéficiaires des activités minières gazières et pétrolières pour éclairer le débat public, réduire les pratiques de corruption, dans l’optique de vaincre la « malédiction des ressources naturelles » constatée dans nombre de pays pauvres. Plus de 50 pays se sont engagés à renforcer la transparence et la redevabilité de la gestion de leur secteur extractif en mettant en œuvre la Norme ITIE, à travers des comités nationaux. 

Parmi eux, des pays comme le Cameroun et l’Éthiopie sont actuellement suspendus pour « engagement insuffisant des parties prenantes » pour le premier et « non-respect de l’échéance de rapportage » quant au second.

Un groupe de travail, composé de neuf organisations, a été mis en place en 2009 pour développer la plateforme africaine sur l’accès à l’information dont les activités devraient « mener à l’adoption d’un instrument global qui ferait progresser le droit d’accès à l’information dans toutes ses dimensions, au niveau régional et international et à la reconnaissance du 28 septembre comme Journée internationale de l’accès à l’information, qui servirait d’événement annuel pour combiner les forces dans des actions de plaidoyer multipartites ».

En 2011, cette plateforme a publié une Déclaration recommandant l’adoption et la mise en œuvre de lois sur l’accès à l’information dans tous les pays africains.

Adoption de lois ATI en Afrique

Le processus d’adoption de lois spécifiques dédiées à l’ATI se poursuit. En septembre 2024, 29 pays africains avaient adopté des lois en faveur de l’accès du citoyen à l’information d’après la base de données de Centre africain pour la liberté d’information (Africa Freedom of Information Centre)

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Le Mali n’a pas de loi spécifique à l’ATI mais il a adopté depuis 1998 la « Loi: n° °98-012 du 19 Janvier 1998 régissant les relations entre l’Administration et les usagers des services publics » qui consacre deux chapitres à l’accès des citoyens aux documents administratifs.

Dans le monde, la Suède est considérée comme le premier pays appliquant des dispositions légales relatives à l’accès du citoyen à l’information détenue par les organismes publics. La Finlande l’adopta en 1951, les États-Unis en 1966, le Danemark et la Norvège en 1970. L’Autriche en 1973, les Pays-Bas en 1978, I’Australie et le Canada en l982, la France en 1978, l’Angleterre en 2000. Selon un rapport de l’Unesco publié en août 2023, 131 pays ont adopté des lois et des dispositions constitutionnelles en faveur de l’ATI. 

L’ATI a-t-elle une valeur ajoutée ?

Outre le fait que les lois ATI énumèrent les types d’information communicables et non-communicables aux citoyens, elles font obligation aux citoyens désireux de disposer de documents d’adresser une lettre à l’organisme public détenteur de telles données qui, en cas de refus, doit servir une réponse motivée. Les délais de réponse sont également contraignants. Mieux, le citoyen a la possibilité de déposer un recours notamment auprès d’une Commission nationale ou une institution désignée par la loi. Cette institution a l’obligation de traiter le recours dans un délai précis. Puis, des sanctions sont prévues pour les agents publics qui violeraient la loi ATI. Enfin, la Commission nationale publie un rapport périodique sur la situation de l’accès à l’information dans le pays. 

Les limites de l’exercice du droit à l’information

Les lois relatives à l’accès à l’information précisent de façon express que le citoyen doit formuler une demande écrite. Cette disposition limite des populations analphabètes, même si celle du Burkina Faso demande aux organismes publics, « au cas où le requérant ne sait ni lire ni écrire, de recevoir sa demande dans un registre ouvert à cet effet ».

En plus, les lois ATI ne sont  pas très sensibles à l’évolution de la technologie en ce sens que, dans beaucoup de pays, elles ne permettent pas au citoyen ou au journaliste de formuler une demande par voie électronique. Par ailleurs, les organismes publics assujettis n’ont pas l’obligation d’être proactifs, c’est-à-dire d’alimenter des plateformes numériques qui puissent faciliter l’accès à l’information au citoyen, sans qu’il y ait besoin de faire une demande. 

Pour le moment, aucune étude ne démontre l’application effective de ces lois ATI, prouvant par endroits, que les journalistes évoluant dans les pays qui en disposent accèdent mieux à l’information que leurs confrères et consœurs des pays qui n’en disposent pas.  Cependant, une enquête réalisée dans 39 pays par Afrobaromètre renseigne que 72% des citoyens ne trouve pas nécessaire de formuler une demande d’information parce qu’il n’est « pas très probable ou pas du tout probable qu’ils ( les pouvoirs publics) accèdent aux informations relatives aux contrats du gouvernement local ».

Sous ce rapport, l’adoption de lois ATI entre plutôt dans la dynamique globale de satisfaire un engagement international, qui consiste à adopter une loi pour faire bonne figure, qu’une politique volontariste qui vise à matérialiser réellement le droit du citoyen, des professionnels des médias en particulier, d’accéder à l’information d’intérêt public, produite et détenue par les administrations publiques.

  • Birame Faye est un journaliste sénégalais. Son travail couvre les questions foncières et celles sur l’accès à l’information publique. Il est doctorant en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis au Sénégal. 

Article édité par Valdez Onanina.

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